5h30. Le réveil sonne, comme tous les matins en semaine. Le rituel peut commencer. On réveille les enfants. Le premier s’habille déjà.
Comme depuis plusieurs jours, j’ouvre les rideaux et vérifie le temps qu’il fait dehors. Nouveau réflexe de tout parent mauricien en ce début d’année 2023.
Quelques gouttes de pluie, le ciel est dégagé. Soupir de soulagement. La préparation du matin peut continuer sereinement.
Le téléphone est toujours éteint. Une pensée me traverse, une pensée folle. Je la formule à haute voix « Je vais allumer mon téléphone pour vérifier s’il y a l’école aujourd’hui, on ne sait jamais ». Évidemment, je ris en disant cela, amusée de cette idée saugrenue qui a osé traverser mon esprit. Personne n’y prête attention autour de moi, bien entendu.
J’allume l’appareil qui me connecte au monde. Et là, petit sursaut, 12 notifications WhatsApp. Non, ce n’est pas possible. Je n’y crois pas vraiment, ce serait surréaliste. Mais en même temps, d’où viendraient-elles, à 5h50, en ce vendredi 3 février ? Je les ouvre. Et je n’y crois pas mes yeux : « No school ».
Deux mots qui sont devenus notre quotidien depuis plusieurs semaines.
Deux mots qui nous tombent dessus presqu’un jour sur deux.
Deux mots qui ne parviennent pas encore à mon cerveau ce matin-là tant ils n’ont aucun sens, alors que, dehors, le ciel joue à cache-cache avec les nuages et que le soleil laisse percer ses rayons encore timides.
Vient ensuite, comme un murmure, la phrase que l’on ne peut plus dire « Les enfants, il n’y a pas d’école aujourd’hui. Remettez vos vêtements dans l’armoire ».
Le café se finit dans la stupeur de l’instant. On se croirait dans un film où le scenario nous échappe, dans une pièce de théâtre où l’on attend le dénouement, celui qui va nous ramener à la réalité, à la vraie vie. Celle d’un quotidien où les enfants se préparent pour aller en classe, pour apprendre, pour jouer, retrouver leurs amis. Celle où les gouters préparés la veille ne se mangent pas à la maison. Celle où l’on ne reçoit pas de mails à 9h (eh oui, ils arrivent plus tôt, ils sont préparés chaque soir eux aussi), avec des pièces jointes en guise de programme scolaire. Celle où l’on n’a pas besoin de diplôme dans l’Éducation pour postuler à la chaine de télévision nationale.
Au lieu de cela, on se prépare, on prend la route (dégagée cette fois car il ne pleut pas), on laisse ses enfants derrière avec les mêmes recommandations que les jours précédents « Soyez sages, pas de disputes ». On n’y croit même plus et ils le sentent bien.
Après deux années où l’école s’est réinventée à distance et une troisième qui a suivi en mode hybride car la peur avait pris le dessus, nous avions commencé cette nouvelle année avec l’espoir fou qu’elle serait « normale », qu’enfin nous pourrions reprendre un semblant de quotidien, que nos enfants, désormais sans masques, pourraient enfin apprendre les « nouveaux sons » de lecture de la bouche des professeurs et non à travers un écran.
Oui, 2023 était porteur d’espoir, un espoir fou pourrait-on penser. Mais la folie, malheureusement, réside ailleurs que dans nos illusions.
Elle se niche au creux de notre petite ile multicolore et prend mille facettes, tantôt teintées de gris mais rarement de bleu.
La folie, ce n’est pas seulement de priver nos enfants de ce qui constitue leur quotidien, mais c’est surtout de leur apprendre que la pluie est un danger, que l’école peut se faire avec des PDF, sans professeur, sans contact humain, que la protection ultime réside entre les quatre murs de leur maison, que les décisions se prennent sans analyse, sans réflexion, sans raison (eux aussi observent le ciel et savent reconnaitre les jours de pluie).
La folie, c’est de leur demander d’accepter que la routine n’existe plus, que les parapluies sont obsolètes, que la vie s’apprend sur écran alors même qu’on lutte pour les « débrancher ».
La folie, c’est le modèle de cette société qui se construit sur des idées folles, (pas celle d’avoir inventé l’école, oh non !) mais plutôt celle où l’irrationnel dirige nos pas d’adultes, où ils constatent avec leurs yeux d’enfant que nous sommes impuissants, que nous capitulons, que nous acceptons, que « c’est comme ça, on n’y peut rien ».
La folie, c’est surtout cela. Baisser les bras, comme des marionnettes que nous sommes, dont les ficelles ne nous tirent plus vers le haut mais nous ramènent plutôt inanimés sur la scène de cette immense pièce de théâtre dans laquelle nous ne sommes ni acteurs, ni spectateurs, mais simplement figurants.
Oui, 2023 était porteur d’espoir. Mais l’espoir se nourrit de lumière.
Et le soleil se fait rare en ce moment, car même à lui, on a réussi à faire croire que lorsqu’il brille, ça ne suffit plus …
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